Vaisseau générationnel
Un vaisseau générationnel ou vaisseau colonie, vaisseau monde ou encore arche spatiale, est une catégorie de vaisseau spatial, relevant aujourd'hui de la spéculation et dont l'idée est issue de la littérature de la science-fiction.
Un tel vaisseau voyagerait sur les très longues distances qui séparent les étoiles à une vitesse nettement inférieure à celle de la lumière. Comme ce type de vaisseau prendrait des centaines voire des milliers d'années à effectuer son voyage, plusieurs générations de voyageurs s'y succèdent avant que le navire parvienne à destination. Le vaisseau générationnel est donc un moyen de réaliser des voyages interstellaires, en l'absence de système de propulsion spatiale viable permettant de franchir rapidement (quelques dizaines d'années au maximum) les distances énormes qui séparent les étoiles (plus de 4 années-lumière pour l'étoile la plus proche). Pour être viable un vaisseau générationnel devrait être d'une taille suffisante pour que son équipage soit complètement autonome pendant une longue période.
Historique
[modifier | modifier le code]Le concept du vaisseau générationnel est apparu dès 1929, avec John Bernal, avant d'être brillamment exploité par Robert Heinlein[1] : il s'agissait pour John Bernal d'une « Arche de l'espace », se déplaçant lentement (à l'échelle de l'univers), auto-suffisante, et constituant pour ses passagers le seul monde qu'ils connaissent.
Les colons vivraient à bord du vaisseau et leurs descendants atterriraient sur la planète de destination. Ces descendants pourraient ensuite établir la colonie, ou s'arrêter simplement pour explorer, puis construire d'autres vaisseaux pour continuer l'expédition. Les vaisseaux générationnels ont longtemps été un sujet populaire en science-fiction ; cependant, ces histoires mettent souvent en relief les problèmes dus à la détérioration de la culture des colons nés sur le vaisseau, qui peuvent aller jusqu'à oublier qu'ils sont à bord d'un vaisseau[2].
Un exemple classique de science-fiction exploitant ces thèmes est Universe, une longue nouvelle de Robert Heinlein écrite en 1951, et développée plus tard pour être incluse dans le roman Orphans in the Sky (Les Orphelins du ciel). D'autres auteurs ont raffiné ce thème, comme E. C. Tubb avec son roman de 1956, The Space Born (Le Navire étoile)[2].
Le concept de vaisseau générationnel est donc quelque peu différent d'un autre concept classique du voyage interstellaire de très longue durée qu'est l'« animation suspendue », ou la « cryogénisation », même si les deux concepts ont pu être réunis en imaginant qu'à la fin du long voyage on incube en matrices artificielles des embryons congelés au début du voyage[1].
Le roman Captive Universe (en) écrit par Harry Harrison en 1969 explore la nécessité d'encadrer de façon particulièrement radicale les aspects et retombées sociologiques entraînés par un voyage à travers l'espace susceptible de durer plusieurs milliers d'années.
Faisabilité
[modifier | modifier le code]Les vaisseaux générationnels ne sont pas faisables actuellement, à la fois parce qu'ils devraient avoir une taille énorme, parce qu'un tel milieu fermé et auto-suffisant serait difficile à créer, parce que la vie sociale à bord y serait difficile et instable[3], et, très concrètement, parce que les rayonnements de l'espace profond poseraient de très graves problèmes de santé.
Durée
[modifier | modifier le code]Les durées impliquées par une propulsion infraluminique pour atteindre d'autres étoiles, et à plus forte raisons d'autres galaxies, sont énormes et ont des conséquences tant sur l'autonomie du vaisseau que sur sa maintenance, et plus encore peut-être sur la stabilité de la société humaine qui se trouve à son bord. En effet, un navire équipé d'une propulsion ionique mettrait sans doute au moins 10 000 ans à atteindre les étoiles les plus proches[4].
De ce fait, il faut par exemple tenir compte d'aspects tels que les risques de consanguinité à bord du vaisseau pendant des millénaires, qui interdit d'embarquer une population trop faible, et amène plutôt à concevoir un vaisseau pouvant emmener plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de passagers, de façon à ne pas voir s'appauvrir la diversité de son capital génétique[4]. Des estimations basées sur des codes Monte Carlo et publiées par l'équipe de Frédéric Marin, de l'Observatoire astronomique de Strasbourg, estiment que la population minimum à embarquer sur un vaisseau générationnel s'échelonne entre 98 et 500 individus afin d'empêcher toute consanguinité[5],[6],[7].
Biosphère
[modifier | modifier le code]Dans le cas d'un vaisseau générationnel, il faudrait pouvoir fournir à chaque passager énergie, nourriture, air, et eau. Il faudrait pour cela s'appuyer sur des systèmes de support de vie d'une extrême fiabilité, qui puissent être entretenus avec les seuls moyens du bord pendant des durées extrêmement longues.
Pour cela, des expériences et des tests préalables de très longues durées seraient sans doute indispensables. Des écosystèmes artificiels fermés, comme Biosphère II et surtout MELiSSA de l'ESA, ont été construits afin d'étudier les difficultés techniques de ce genre de système, avec des résultats mitigés.
Biologie et société
[modifier | modifier le code]Au-delà des difficultés techniques, un des écueils les plus importants auquel se heurte ce genre de projet réside dans le facteur humain. En effet, comment motiver une population suffisamment nombreuse et diversifiée, à s'embarquer dans un voyage dont, en raison de sa longueur, elle ne connaîtra jamais la fin, à engendrer une deuxième génération d'individus et à lui transmettre intacts les buts et les motivations de l'entreprise, sachant que seule la troisième ou la quatrième génération aura une chance, hypothétique, de parvenir à destination.
Le problème serait inévitablement accru par le risque de déperdition du savoir dans une petite société repliée sur elle-même, sans aucun apport de connaissance extérieure. De ce fait, les connaissances techniques indispensables au bon fonctionnement du vaisseau pourraient se perdre au fil des siècles[4].
Rayons cosmiques
[modifier | modifier le code]Les radiations qui baignent l'espace sont très différentes de celles que l'on rencontre à la surface de la Terre, ou en orbite basse, du fait de l'énergie beaucoup plus élevée des rayons cosmiques, des émissions de protons à haute énergie associées aux éjection de masse coronale, ainsi que des ceintures de radiations telles la ceinture de Van Allen autour de la Terre.
Comme d'autres radiations ionisantes, les rayons cosmiques à haute énergie peuvent endommager l'ADN, accroissant les risques de cancer, de cataracte, de troubles neurologiques, et la mortalité en général[8]. Il n'existe pas aujourd'hui de solution pratique à ce problème.
Néanmoins, il serait envisageable de mimer les dispositifs terrestres quant à sa protection des rayons cosmiques, comme par exemple un champ magnétique artificiel.
Quelques ouvrages illustrant le concept
[modifier | modifier le code]- (en) John D. Daugherty, Exploration : Themes Of Science Fiction, A Brief Guide, Trafford Publishing, (ISBN 978-1-4120-1330-7, lire en ligne)
- (en) Stephen Webb, If the universe is teeming with aliens — where is everybody? : fifty solutions to the Fermi paradox and the problem of extraterrestrial life, Springer, , 288 p. (ISBN 978-0-387-95501-8, lire en ligne)
- Robert Heinlein, Les Enfants de Mathusalem suivi de Les Orphelins du ciel, Editions Gallimard, (ISBN 978-2-07-031755-4, lire en ligne)
- Harry Harrison, L'Univers captif [« Captive universe »], Librairie des Champs-Élysées, (ISBN 978-2-7024-0811-7, lire en ligne)
- Brian Aldiss (trad. de l'anglais), Croisière sans escale [« Non-Stop »], Paris, Denoël et Gallimard, 2007 (gallimard - coll. folio sf), 406 p. (ISBN 978-2-07-034472-7)
- Bernard Werber, Le Papillon des étoiles : roman, Paris, Albin Michel, 2006 (albin michel), 343 p. (ISBN 978-2-253-12372-9)
- Richard Paul Russo (trad. de l'anglais), La Nef des fous, Paris, Pocket, 2009 (pocket), 473 p. (ISBN 978-2-266-16213-5)
Annexes
[modifier | modifier le code]Références
[modifier | modifier le code]- Stephen Webb 2002, p. 63
- John D. Daugherty 2004, p. 87
- Biosphère II a échoué 2 fois, sur 2 tentatives.
- (en) « Generation Ships », sur orbitalvector.com (consulté le ).
- F. Marin, « HERITAGE: A Monte Carlo code to evaluate the viability of interstellar travels using a multi-generational crew », Journal of the British Interplanetary Society, vol. 70, , p. 184–195 (ISSN 0007-084X, lire en ligne, consulté le )
- Frédéric Marin et Camille Beluffi, « Computing the Minimal Crew for a multi-generational space journey towards Proxima b », Journal of the British Interplanetary Society, vol. 71, , p. 45–52 (ISSN 0007-084X, DOI 10.48550/arXiv.1806.03856, lire en ligne, consulté le )
- F. Marin, C. Beluffi, R. Taylor et L. Grau, « Numerical Constraints on the Size of Generation Ships from total energy expenditure on board, annual food production and space farming techniques », Journal of the British Interplanetary Society, vol. 71, , p. 382–393 (ISSN 0007-084X, DOI 10.48550/arXiv.1901.09542, lire en ligne, consulté le )
- « NASA Facts: Understanding Space Radiation » [PDF] (consulté le )
Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]- « Space Settlements: A Design Study », sur nss.org (consulté le ). Il s'agit d'une étude de faisabilité théorique effectuée en 1975 pendant un programme d'été de 10 semaines à l'université Stanford et au Ames Research Center.